Une odeur rance, mêlant alcool, transpiration et viande faisandée empreignait la pièce. De part et d'autre, se trouvaient des chaises renversées, des flaques d'étranges liquides flasques, et des ossements d'origine inconnue. Au milieu, un groupe d'individus assis autour d'une table semblait s'agiter tout en parlant richesses et jeux d'argent. Derrière son comptoir, le bourreau essuyait de son torchon, taché et maculé de ce qui semblait bien être du sang, quelques chopes et autres objets pouvant contenir du liquide. Malgré l'atmosphère oppressante qui régnait dans la taverne, un mystérieux voyageur encapuchonné décida d'entrer, pour s'asseoir à une table.
- Mais j'te dis qu'il triche ! Et d'puis l'début ! Tu l'vois pas faire ses magouilles depuis tout à l'heure ? Il a plusieurs jeux de cartes sur lui j'te dis ! Allez, récupère ton pognon maintenant !
- T'es marrant toi ! Ça fait une heure qu'j'essaie, y'a pas moyen, il remporte toujours tout ! J'aimerais bien t'y voir !
Sur la table centrale, un Ecaflip au pelage noir corbeau semblait s'amuser avec une proie sans défense.
- Alors, je vous en propose une dernière ou vous préférez rentrer chez vous dès à présent, la queue entre les jambes ?
- Allez-y les gars, je passe mon tour pour cette fois, dit l'un d'entre eux.
Ses interlocuteurs ne firent qu'un tour et firent rouler leurs derniers kamas sur la table. Le bourreau, habitué à voir ce matou rafler les mises de ses clients tous les soirs, eut un rictus moqueur. Dans son coin, le voyageur observait attentivement la scène.
Une fois la partie terminée, le félin jeta un œil sur ses recettes de la soirée, qui luisaient sur un coin de la table.
- Eh bien, messieurs, j'estime que vous avez bien assez perdu pour aujourd'hui. On se fait la revanche la semaine prochaine !
- Tu la f'ras tout seul ta revanche, marre de perdre tout ce que j'réussis à gagner en f'sant c'foutu métier par ta faute !
- Comme vous voudrez !
Le félin et ses généreux clients commençaient à rassembler leurs affaires pour s'en aller. Ils n'eurent pas le temps de se lever que le voyageur vint s'asseoir à la table, en déposant une bourse pleine de kamas.
- Ah, voici un nouveau joueur ! Mon portefeuille t'en remerciera, s'enthousiasma le matou.
Celui-ci déposa 5 cartes sur la table. Il dessina une petite marque à l'aide de sa griffe sur l'une d'entre elles.
- Très bien, je vais retourner ces cartes, et une fois que j'aurai terminé de les mélanger entre elles, tu me diras où se trouve celle que j'ai marquée.
Le jeu commença.
L'Ecaflip échangeait de position les cartes entre elles à une vitesse impressionnante. Toute l'assemblée, hormis quelques-uns ayant abusé de la boisson, était captivée.
Alors que ses doigts effectuaient leur gymnastique dans le but d'embrouiller leurs spectateurs, son poignet heurta une chope qui vint à se renverser sur son voisin de droite, un Pandawa endormi depuis quelque temps dans son vomi. Celui-ci eut un sursaut, dégaina sa hache et dans un hurlement, l'abattit sur la table, qui s'écroula avec fracas.
Le bourreau, le regard inexpressif, décrocha sa hache du mur, s'avança dans la pièce et dit à l'assemblée :
- Vous m'remboursez la table immédiatement, ou bien les têtes commenc'ront à sauter les unes après les autres.
Une atmosphère pesante s'installa alors. Tout le monde semblait préparé à se défendre d'une éventuelle attaque.
Le Pandawa, ivre mort, tenta de se ruer sur le bourreau, mais manqua sa cible et effleura un client assis à une table un peu plus plus loin. Celui-ci lui asséna un coup de pied dans le thorax, qui propulsa sa cible jusque sur la table fendue en deux. Une bagarre générale éclata alors. Le bourreau trancha en deux la victime du coup de pied, et fut mis à terre par un client mécontent. Le grand gagnant de ce soir tentait de ranger ses kamas pour pouvoir filer en douce, quand un de ses anciens partenaires de jeu l'en empêcha en fonçant sur lui tête baissée. Il dégaina alors son marteau, et d'un coup dans les côtes, l'envoya s'écraser contre un des murs de la taverne. La voie était à présent libre. Alors qu'il attrapait la poignée de la porte, il sentit un couteau se glisser sous sa gorge. Une voix féminine lui susurra :
- Tu croyais quand même pas pouvoir te barrer avec mon pognon ?
La bourse du voyageur. Il l'avait prise avec lui en espérant passer inaperçu...
Un rugissement retentit sur leur gauche, et ils furent tous deux renversés à terre. D'une roulade, la-dite « voyageur », désormais décapuchonnée, sortit deux revolvers et tira sur leur assaillant, qui fut projeté à travers la salle. Elle récupéra sa bourse, gisant éventrée par terre.
- Hey ! Toi ! Hurla le bourreau à l'encontre de l'Ecaflip. Celui-ci en profita pour se diriger vers la sortie.
- Si j'te r'vois par ici, j'ferai afficher ta tête au-dessus de mon comptoir, et j'utilis'rai tes tripes pour faire le boudin que j'servirai aux clients !
A présent poursuivie par un Sram en excès de libido, et consciente que la situation ne pourrait s'améliorer, la Roublarde qu'elle était décida d'y mettre un terme. Calmement et posément, elle se dégagea de son prétendant d'un coup de pied, et attrapa deux bombes accrochée à sa ceinture. Elle les lança au centre de la pièce, et, d'un pas léger et élégant, sortit de la taverne.
Notre cher matou, ayant vu la scène du coin de l’œil, se jeta par la porte laissée ouverte avant que l'endroit ne devienne que débris, cendres et poussière.
Une fois éloignée d'une bonne dizaine de mètres, Thylia décida enfin d'appuyer sur le détonateur, entraînant la destruction pure et simple de la Taverne du Bourreau et de tous ses occupants.
Le poil légèrement roussi mais les poches pleines de kamas, Kadarac fut contraint de s'éclipser dans les sombres et inquiétantes ruelles des eaux suaires.